David Hey Ho

Mots, textes, interviews et vidéos

La masse silencieuse

Résumé de l'article précédent : "Même si, bon, mais quand même, on ne m'enlèvera pas de l'idée qu'il n'y a pas de fumée sans feu. David Hey Ho est un connard."

Certains jugeront que j'en fais des tonnes, que j'exploite un filon, que tout cela traîne en longueur, que je ferais mieux de tourner la page. Pas faux ! N'empêche que, je sais pas vous, mais moi c'est pas tous les jours que je me fais traiter de connard sur mon journal. Quand on pense que deux ans après, je suis toujours à faire vivre un voyage d'un mois au Japon sur tous les réseaux sociaux, YouTube en tête...

Si l'irrévérencieux soufflage de bronches avait été privé, s'en serait suivi explications privées, embrouilles privées, surenchères privées. Un dictionnaire entier de noms d'oiseaux y serait passé dans le silence le plus complet. Même si le monde du silence version polygame à bonnet rouge est plus propice aux expressions ichtyennes tel que "Je te pisse à la raie manta", "T'as mangé un poisson-clown ?", "Va donc, hé, morue !" ou encore le célèbre "il est pas frais mon poisson !" qui, aussitôt lancée, mène à baston collégiale systématique depuis nos ancêtres les gaulois.

Mais là, à la vue de tous, chacun a pu s'exprimer. Il y a eu des amis choqués ou en colère. Je les en remercie. Une dizaine, c'est assez peu, mais ça fait plaisir. Les autres ont votés blancs parce qu'il s'en foutent... ou sont d'accord mais sans couilles, c'est possible aussi.

Que penser de ceux qui lisent et ne s'expriment pas.

Ce ne sont pas des radins, c'est gratuit.
Ce ne sont pas des surbookés, c'est rapide.
Ce ne sont pas des illettrés, ils sont réseausocialisés.
Ce ne sont pas des inconnus, on est amis Facebook.

C'est peut-être finalement un cocktail de tout ça. Des surfacebookés. Sans possibilité de tout faire bien par manque de temps, ils survolent. S'arrêtent uniquement quand un signal d'alarme autogénéré par mots-clés les y incitent. Chacun a les siens. Ça peut être "chaton", "boobs", “testament de Johnny” ou "Finkelkraut". Ça peut être "Burger", "Parcs d'attractions", “Comics” ou "Japon". Bon, ça, c'est un peu les miens. Mais y en a d'autres, hein, plein d’autres. Pourtant "Connard" - je ne m’adresse à personne, attention, c’est juste le mot -, je pense qu’on l'a tous dans nos inventaires à la Prévert. Peut-être d’ailleurs qu'on devient amis Facebook parce qu'on a des listes similaires. La violence d'une insulte incite à l'intérêt. Surtout que sa pratique, si elle est publique, est punissable d'une amende de 12 000 euros. Vous parliez de filon ?

Pourtant seuls dix amis se sont émus de la violence des propos. Dont un qui s'est marré mais ça compte quand même. Et puis, ce matin, il y en a eu un en accord avec le propos du statut qui a exprimé son consentement par un magnifique pouce levé.

Je me souviens, minot, des bagarres de récré. Ça commençait souvent par une insulte à base de mère - parfois en rapport avec du poisson pas frais -, ça continuait avec la pose du sac US à terre après une poussée musclée de l'épaule. Pendant ce temps, les autres élèves vaquant à leurs occupations, bataille de billes, échange de cartes Panini ou tirage de couette, stoppaient net leurs activités pour s'agglutiner en un cercle parfait autour des adversaires déjà à terre. Ce moment exact entre l'osmose des convoiteurs de tripes à l'air criant en choeur "Du sang, de la chique et du molard !*" et le sifflet de l'instituteur, signal imposant l'urgence de faire le bon choix, échanger Rocheteau contre Revelli - mais lequel, Patrick ou Hervé ? - pourrait me faire perdre foi en l'humanité. Ce sont les mêmes choristes qui provoquent des bouchons sur l'autoroute pour mater la voiture retournée, la tâche rouge cachant progressivement son ombre et le bras sortant de l'habitacle. Ils ne chantent plus parce qu'ils sont chacun dans leurs voitures.

Je ne me souviens plus où j'étais quand ça arrivait, à la récré. J'aime à croire que j'étais le seul à rester éloigné du spectacle, tel un philosophe en Kickers. Les souvenirs, ces doux mensonges providentiels. J'ai cependant rarement été l'objet de l'attention survoltée d'un groupe d'individus qui confondra à jamais sport et violence. Je courrais trop vite.

Que sont-ils devenus, ceux-là, sur les réseaux sociaux ? Font-ils partie des silencieux ? L'écran aseptise tout. Ou sont-ils toujours les mêmes, tel mon pouce levé, à pratiquer la politique de l'huile sur le feu ?

Qu'est-ce que tu en penses, Denis Arnoud ? Aurais-tu un autre pouce à me mettre, en tout bien tout honneur, sous l'article ?

* Expression provenant de la lointaine armorique ayant évoluée avec le temps, les gaulois scandaient "Du sar, de la truite et du homard !"