David Hey Ho

Mots, textes, interviews et vidéos

Vous n'avez pas les bases

Les approximations journalistiques me les brisent menu, me les taillent en biseau, me les frisent en rouleau, bref, ça m'énerve. Bon là, le déclic m'est venu sur un marronnier léger, donc anecdotique. Sur des sujets plus sérieux, donc que je ne maîtrise pas, j'ose espérer qu’il en n’en est pas de même.

Deux précisions avant d'entamer une mini-analyse de la dernière émission de Capital sur les petits parcs d'attractions français. J'ai déjà eu affaire avec un journaliste, non pas de l'émission mais du magazine Capital. C'était dans les années 2000. Je lui ai mâché tout le travail, fait rencontrer des personnes qu'il n'arrivait pas à toucher, lui ai fourni études difficiles à trouver et infos rares. Il m'avait fait des promesses qu'il n'a jamais tenues. Mon nom ou plus exactement celui de mon site de l'époque, Newsparcs, n'a pas même été cité. Connard !

Par ailleurs, même après d'autres mésaventures journalistico-fauxculienne, j'apprécie la profession quand elle est exercée avec talent, le souci de la valeur de l'enquête et du travail chevillée au corps. Simple, basique. Merci pour cela à mes amis journalistes qui m'évitent de tomber dans les travers du tous pourris pujadistes. Caroline, François, Pierre, je vous embrasse.

Un partout, la balle au centre. Commençons le match.

Le reportage de dimanche, sur M6, voguait entre quatre destinations touristiques. Je ne vais me focaliser que sur les seuls parcs à thèmes : le récent Parc Spirou et le vénérable Fraispertuis-City. Timecode on.

0:37 : "... L'ouverture du dernier grand parc français, le Parc Spirou."

Grand parc ??? Rappel des faits : une surface de 4,5 hectares pour 11 attractions, pas un spectacle. Le dernier des grands parcs français. Mouais ! On compare avec les autres grands parcs ? Allons-y !

Disneyland Paris : 55 hectares - 34 attractions
Puy du fou : 55 hectares - 60 spectacles/attractions (sans compter la Cinéscénie)
Parc Astérix : 18 hectares - 37 attractions
Futuroscope : 35 hectares - 25 attractions
Nigloland : 40 hectares - 35 attractions
OK Corral (parc le plus proche du Parc Spirou) : 14 hectares - 30 attractions

Si on prend Fraispertuis City, l'autre parc du reportage, on y trouve 37 attractions (et non pas 54 comme claironné fièrement par la voix off) sur 6 hectares, alors que, sur l’heure et demi que dure l'émission, il n'est jamais considéré comme un grand parc. "Village de cowboys", "Un petit parc de 6 hectares", "Les clients ne se bousculent pas au portillon", j'en passe et des meilleurs. Deux poids, deux mesures, n'est-il pas ?

Bon, si les chiffres ci-dessus ne sont pas exacts, dites-le moi, hein, sinon j’aurais pas l’air con de critiquer comme ça. Mais même si une ou deux erreurs se sont glissées dans les chiffres, globalement, ils sont plutôt parlant sur la notion de parti pris qu’on développera tout au long de l’article.

5:25 : "Ces familles massées devant les grilles..."

Bon, il suffit de regarder les images pour se rendre compte qu'on se fout "un peu" de notre gueule. Quelques familles, tout au plus une cinquantaine de personnes. Pour l'ouverture de la première journée d'un "grand" parc, ça fait un peu léger. Les mots sont-ils plus forts que les images ? Sommes-nous à ce point débiles ? Si oui, effectivement, on fera plus confiance à un mensonge dit qu'à une image honnête. À leur décharge, comme on dit dans la télé poubelle, ils auraient pu mieux travailler le cadre pour être en adéquation avec les propos de la voix off. Mais on ne va pas, en plus, faire un procès en incompétence. Il ne faudrait pas, non plus, que je fasse une crise de mauvaise foi.

7:52 : "32 euros pour les adultes, 25 pour les enfants, une dépense très vite oubliée dès que la magie du parc fait son effet"

Voilà comment on expédie un prix d'entrée très élevé en comparaison de l'offre. Prenons à nouveau le parc le plus proche, OK Corral, les tarifs adulte/enfant sont de 28 euros/25 euros. Du côté de Fraispertuis City, ils sont plus bas encore avec 23 euros/19 euros. Rappelons que chacun de ces deux parcs possèdent entre 3 et 5 fois plus d'attractions que le nouveau venu.

9:52 : "Au total, 12 attractions pour petits et grands"

J'annonçais 11 plus haut, ils précisent 12. Qui a raison ? Au moment où le reportage est diffusé, c'est moi. Je ne compte plus les points.
Effectivement, si on fait un tour sur le site internet du Parc Spirou, on découvre que Zombillenium Dark ride sera prochainement disponible, sans précision de date. Cette année ? Avant la fin de la saison ? L'année prochaine ? Affaire à suivre... ou pas.

10:42 : "C'est la première fois que le célèbre éditeur belge accepte de confier ses personnages à un parc d'attractions."

Cette seule phrase m'a décidé à écrire l'article pas drôle et peut-être même un peu chiant si vous vous brossez des parcs d'attractions que vous lisez présentement. Comment peut-on débiter de telles conneries ? Il suffit d'une petite recherche Google, le strict minimum du métier de journaliste, pour démonter cette affirmation bullshit.

Planète Magique (Paris)

Planète Magique (Paris)

En 1989, dans le parc indoor parisien Planète magique conçu par Jean Chalopin (le papa d’Ulysse 31, des Mystérieuses cités d’or ou de l’inspecteur Gadget, entre autres) situé dans le théâtre de la Gaîté-Lyrique - il ne fit pas long feu puisqu’il ferma deux ans plus tard -, le niveau 0 permettait de prendre des photos dans des décors de la bande dessinée belge avec Gaston Lagaffe, Les Tuniques bleues, Yoko Tsuno ou Papyrus. Le sponsor était... les éditions Dupuis.

Walibi Belgium (Wavre)

Walibi Belgium (Wavre)

En 1998, Walibi Belgium accueille un land intitulé "Lucky Luke City". On y trouve des attractions telles que la "Dalton Terror" - d'ailleurs par le plus grand des hasards exactement le même modèle que la nouveauté à 7 millions de Fraispertuis City - ou encore la "Calamity Mine". Par ailleurs, les personnages Boule et Bill dont les albums sont également chez Dupuis arriveront plus tard dans le parc belge, en 2005, avec l'attraction "Boule et Bill Autostop".

Walibi Belgium (Wavre)

Walibi Belgium (Wavre)

Et je ne parle pas des autres parcs, dans le monde qui utilisent (avec leur accord ou peut-être pas d’ailleurs) les licences Dupuis comme Harikalar Diyari en Turquie. Voilà, cette phrase, par exemple, est une malhonnêteté journalistique souvent utilisée. Je n'ai trouvé qu'un seul parc dans mes recherches mais je laisse à penser que cet unique exemple est l'arbre qui cache la forêt. D'ailleurs, le reportage est truffé d'affirmations en voix off qu'étayent ensuite les personnes interrogées. Alors que dans les faits le journaliste écrit son texte à partir de l'affirmation d'une seule personne devenant ainsi parole collégiale par la magie du montage et de l’exemple supposé universel. Pouah, beurk, pas beau, caca boudin ! Oui, quand la démarche intellectuelle est malhonnête, je préfère opter pour le langage babillant d'un enfant de deux ans. Simple, basique.

Harikalar Diyari (Ankara)

Harikalar Diyari (Ankara)

Considérant en plus de tout cela que le présentateur de l'émission fait le lancement et la conclusion de l'émission au Parc Spirou, on peut légitimement imaginer qu'il y a eu tractations - peut-être même financières - entre les deux parties. Vous savez, comme ces villes qui payent une fortune pour être l'une des étapes du Tour de France parce que c'est bon pour le tourisme. Sans vouloir jeter l'opprobre sur M6, tout cela ressemble quand même à un publi-reportage négocié avec le groom en habit rouge (Meuh non, c’est pas un placement de produit Guerlain !), les autres lieux touristiques partageant l’affiche à titre justificatoire - je suis sûr que le mot existe en droit, bon, sinon, vous avez compris les bails - pour draper le reportage d’une cape journalistique. La majeure partie des contre-vérités portent sur lui. Étrange, non ?

Arrêtons ici la démonstration, certes à charge mais néanmoins argumentée, du parti pris qu'on pourrait qualifier de suspect en faveur du parc Spirou. Sans doute n'aurais-je rien écrit si à l'inverse Fraispertuis City avait été encensé avec en miroir l'autre parc en faire-valoir. Je vous dois un aveu. J'ai contacté il y a quelques mois le parc au groom. Je n'ai jamais eu de réponse. J'ai une sainte horreur du vide, du mépris, du manque de professionnalisme. Alors que j'ai une tendresse toute particulière pour le parc western des Vosges. Je ne l'ai visité qu'une fois il y a pas mal d'années, je ne sais plus quand exactement, avant les années 2000 si je ne dis pas de bêtises. Nous avions été royalement accueilli par Patrice Fleurent, responsable du parc qu'on voit dans le reportage. Ce gars est un passionné, un vrai, qui visite les parcs du monde entier et qui, avec des moyens modestes, a réussi à tenir la dragée haute aux acteurs majeurs du monde des parcs. Nous n'avons été que très peu en contact, une rencontre et quelques échanges de mails à l'époque. Pourtant, j'ai un souvenir ému de notre rencontre. Il est des gens qui vous marquent par leur passion, leur humanité, leur âme d'enfant. Jean-Marc, je pense aussi à toi. Et que j'aime ces gens-là. Pas ceux de Brel, hein !

Fraispertuis City, c'est un parc familial qui, progressivement, a su se bâtir une solide réputation. Ils sont rares aujourd'hui les parcs ne faisant pas partie d'un grand groupe. Il faut les préserver. Si vous me posez la question, je vous dirai cent fois d'aller visiter Fraispertuis City plutôt que le Parc Spirou. On peut aussi aller visiter les deux pour se faire une idée. C'est bien aussi de se rendre compte par soi-même. Même, et surtout, si vous n'avez pas les bases. Soyez journaliste de votre vie, de vos avis. Simple, basique. Soyez sceptiques, doutez de tout. Mais ne soyez pas parano, doutez juste un peu.

Elle dit qu'elle partira, elle dit qu'elle me suivra
Alors pour un instant, pour un instant seulement
Alors moi je la crois, Monsieur
Pour un instant, pour un instant seulement
Parce que chez ces gens-là Monsieur, on ne s'en va pas
On ne s'en va pas Monsieur, on ne s'en va pas
Mais il est tard Monsieur
Il faut que je rentre chez moi