David Hey Ho

Mots, textes, interviews et vidéos

Homme blanc de plus de 50 ans cherche sa place

Même si je ne le ressens pas intensément, systématiquement, à chaque instant, j'ai conscience de représenter l'archétype de celui qu'il faut abattre, dégrader, dénigrer. Rayez sa caisse et les mentions inutiles. Mon sexe incite à la méfiance. Ma couleur persuade de ma domination. Mon âge me vaut au mieux de la pitié.

La chanson "OK Boomer" - si la ride m'était inconnue j'aurais dit le son - de Mc Fly et Carlito sortie en début d'année recense selon eux les traits de caractères, les expressions, les avis tranchés des personnes de mon âge. Si vous ne connaissez pas, je vous ai mis le clip en dessous du texte. "Un enfant c'est un papa, une maman, OK boomer !" chantent-ils. Petit coup dans la jugulaire. Une brochette de caricatures, de stéréotypes à la sauce "manque de nuances" de ce qui est reproché à leur non-coeur de cible, aux darons, aux vétustes, à ceux d'avant, aux périmés, aux presque morts. Le vieux a vécu. Sa jeunesse, le meilleur de sa vie, est loin maintenant. Il était à hélice, les cheveux au vent, il est à réactionnaire, le crâne aérodynamique. Il regrette le bon temps, le temps d'avant, quand il bougeait sans le regretter l'instant d'après. Les premiers souvenirs deviennent plus présents que ceux d'il y a cinq minutes. Il conduit dans la vie sous la vitesse autorisée, l’œil dans le rétrograde. Il veut partager son printemps à ceux qui sont arrivés après lui. Il est arrogant, condescendant. S'il est flic, il est condé sans dent. Calembour. Humour à la retraite. OK boomer !

Merci les gars. Je ne vous en veux pas. Je reste abonné à votre chaîne. Suis-je un faible, un abruti ou un sage ? L'âge avançant, peut-être maîtrise-je (plus facile à écrire qu'à dire) autant la définition de "synonyme" que ma vessie ou mon sphincter.

La curiosité est une qualité de l'enfance. OK Google ! En farfouillant sur le net pour en savoir plus sur l'expression "OK Boomer", j'apprends qu'elle qualifie ceux qu'on a longtemps appelés "baby boomer", génération à laquelle je pensais appartenir. Elle englobe les personnes nées entre la fin de la seconde guerre mondiale et 1965. Bad news, je suis né en 1966.

Je n'ai pas même la légitimité de me sentir outré par une expression qui me les frôle, frisant le poil sans rougeur. J'en ai le physique mais pas le bien-fondé. Je me fais foncedé par défaut, pour des faux. Je suis réceptacle d'une inique haine, un métis de l'âgisme.

C'est que dans ma tête, je me sens plus jeune que les jeunes qui me tartinent la raie. Quand je lisais des comics Marvel dans les années 70, j'étais un attardé. Quand je me passionnais pour les parcs d'attractions dans les années 90, j'étais un teubé. Pas grave, quand mon toit deviendra gris, quand mon moi sera aigri, je décrocherai une légitimité à l'usure effaçant l'ardoise de mes errances passées. Le respect s’acquiert avec l'âge. Naïf j'étais, naïf je suis, naïf je resterai.

Je me souviens, c'était à l'occasion du dernier évènement geek auquel j'étais invité avant le port du masque et la distanciation sociale. Dans le bus nous ramenant à notre hôtel, je discutais avec un streamer qui venait de boucler un week-end de présence sur l'une des scènes promouvant les jeux vidéos indépendants. Il m'a dit plusieurs fois le nom de sa chaîne Twitch mais, mémoire de vieux... C'était rigolo, à chaque fois qu'il parlait d'un sujet que mes cheveux blancs n'étaient pas censés connaître, avec gentillesse, il m'expliquait un contexte qu'il était à mille lieux d'imaginer dans mon domaine de connaissance. C'était comme converser en japonais avec un Japonais qui ne répondrait qu'en anglais. J'avais beau lui démontrer que le sujet ne m'était pas étranger, il n'arrivait pas à assimiler le fait que je pouvais connaître, avoir un avis pertinent ou au minimum juste.

J'en suis là de l'écriture de mon texte, à tenter de trouver une conclusion qui ne vient pas. Dans l'ordre des choses, le jeune cerf combat le dominant pour le chasser de la harde quand il devine croître sa faiblesse. C'est le cycle de la vie. Hakuna matata, je le conçois. Mais, bien qu'étant de ceux dévalant inéluctablement la pente, je m'accroche avec vigueur et gourmandise à mon âme d'enfant, ne me reconnaissant pas dans ce qu'on pense de moi, de loin, de l'autre côté. Je tente en permanence une grotesque ascension par la face lisse, à l'opposée de la face mort. C'est à la fois beau et pitoyable, candide et sans espoir, vain et quatre-vingts. La relativité du temps. L'aspect se décrépit plus vite que l'intellect. C'est peut-être la pire leçon que la vie nous donne. Je me sens capable d'entreprendre ce que mes aptitudes physiques me refusent désormais. L'esprit avance, le corps recule, comment veux-tu, comment veux-tu que je simule ?

C'est un peu court, vieil homme. On pouvait dire - Oh ! Dieu ! - bien des choses en somme. Je pense à Cyrano qui en secret aima Roxanne, ne laissant échapper son sentiment qu'à l'heure du dernier souffle. Spoil. Une table ancienne peut trouver sa place dans un salon moderne. Encore faut-il que la patine s'harmonise avec l'environnement. Je meuble pour que cela semble plus long. Cadbury du pauvre. Réf de ieuv.

Mais il n'est de meilleure compagnie qui ne se quitte. Je tire ma révérence avant qu'on ne tire sur l'ambulance. À vous de compter les points. J'ai collé des mots et des phrases qui se percutent comme une boule dans un flipper. Je suis le dauphin de la place Dauphine. Du crayon, j'hésite entre bonne et mauvaise mine. Dire et contredire. Faire et contrefaire. Même si je place ça et là des mots de la jeune génération, je ne fais pas illusion. J'ai plus de 50 ans. Mais ne me jugez pas uniquement à mon enveloppe, j'ai le timbre vif et la lettre alerte. Je suis vieux, certes, mais pas que.