Semaine de merde
La nouvelle est tombée du ciel, désastreux présage.
Je ne sais plus où j'ai entendu ça, il semblerait qu'une théorie affirme que les morts célèbres vont par trois. Certaines bad news écrasent les autres. L'immortel Jean d'Ormesson a pâti de la séquence. Johnny à son corps défendant, depuis, tient la scène médiatique. Souvent, les artistes croient en la postérité. L'héritage. L'ego transcende les lois de la nature. Le vivant oeuvre pour l’après, comme sauver un enfant de la noyade et partir avant l'arrivée de la police. Un acte d'amour pour son prochain, pour les prochains. Céline de son vivant sélectionna les prochains, basant les élus. La postérité retiendra l'oeuvre en détestant l'homme. Que tous ceux qui par une alchimie étrange du cerveau fredonnent la chanson de Titanic se rassure. René est toujours en attente. Je me demande ce qu'aurait pu donner le classement au Top 50 des tubes de Louis-Ferdinand Dion. Le garçon pas comme les autres s'appellerait Samuel. Nord parlerait du Québec natal de l'artiste. De château l'autre raconterait ses fréquents déménagements. Une chose est sûre, l'écoute de la compile en boucle serait un voyage au bout de l'ennui.
Il est difficile de séparer l'homme de sa production artistique. Parce que les deux sont intimement liés, que l'une raconte l'autre. Peut-on aimer un roman quand on hait l'homme ? Je ne me prononcerai pas pour Céline, jamais lu. Un blocage. Je peux vous parler d'un autre artiste qui nous a quitté hier. Toute mon adolescence fut égayée par un duo irrévérencieux qui savait manier les mots comme personne. Tantôt pour faire rire, tantôt pour émouvoir. J'adorais ce mélange des genres. Renaud avait ce talent. Je parle de lui au passé mais, pas de gaffe, toujours vivant, rassurez vous, toujours la banane, toujours debout. Font et Val. C'est François, un ami d'enfance que j'ai perdu de vue depuis, qui me les a fait découvrir. Juif-anarchiste drôle et flibustier. Souvent, je me demande ce qu'il est devenu. Si parmi mes vieux amis, certains ont des nouvelles de lui, ça me ferait plaisir. J'adorais Font et Val. Pas autant que Desproges mais pas loin quand même. Je n'ai jamais eu la chance de les voir en concert. Ils ne passaient jamais en radio ou en TV. Censure, boycott, tout ça. J'achetais leurs disques, louais leurs cassettes au vidéo-club, empruntais leurs livres à la médiathèque. Et puis il y a eu la boulette. Une grosse saloperie, en fait. Dans les années 90, Patrick Font fut condamné pour attouchements sur mineur. Six ans de prison ferme. Dégoût de mes goûts d'adolescent. Je n'ai plus écouté aucun de leurs sketchs. Et ce que devint Philippe Val par la suite n'arrangea pas les choses. Patrick Font est mort hier. J'aurais pu reprendre deux fois des moules. J'ai mangé des pâtes. À l'époque de mon adolescence, le net n'existait pas. Aujourd'hui, quand on tape "Font" sur Google, on tombe sur la police. Le destin 2.0 est taquin.
François était fan de Lavilliers - qui se porte bien merci pour lui -, de Lalanne - qui se porte bien tant pis pour nous - et d'Higelin. J'aurais eu des moules au souper, je n'y aurais pas touché. Le mec n'a rien fait pour me dégoûter de lui. Mon amour a gonflé. À chaque écoute, l'érection de mes oreilles rend hommage à la trompe de Rocco. Higelin, ce n’est pas mon adolescence mais ma vie. Jusqu'à aujourd'hui. Hier, c'était encore une journée de foutue. Je ne sais pas ce qui m'a pris, le matin, quand je me suis réveillé. Je me voyais déjà parti sur un voilier dans les pays lointains retrouver une rousse au chocolat. Ce bruit, est-ce que t'entends ce que je vois ? Champagne ! Monté au ciel, c'est comme ça. À qui le tour ? Ma vie passée en deuil, je m'accroche au quotidien, ma vie d'aujourd'hui. Le boulot, c'est pas la folie. Je m'accroche. Les passions sont des ancres raclant le fond des mers pour que le capitaine ait le temps de profiter d'îles magnifiques qu'il ne foulera jamais. Ma passion du moment, c'est une Mission Japon. Le pavillon en berne du capitaine m'apprend que le tombeau des lucioles est scellé à jamais. Takahata-san n'est plus. Plus de repère, plus de berge pour me sauver. Passé, présent pleurent. Le fantôme des Noëls à venir m'assène le coup de grâce. Pas trois mais quatre, la théorie ne se vérifie pas cette fois. Je suis dans le froid, plusieurs couches de papier journal sous le pull mité. Je souffle dans mes mitaines recroquevillées sur la bouche. Une fois encore, je vais avoir le luxe de m'endormir sous la voie lactée à compter les étoiles comme autant de moutons dans le ciel. Demain, les pieds des sapins seront garnis de boîtes en papier brillant. Les enfants seront heureux comme je l'étais à leur âge, comme je le suis aujourd'hui en repensant à ce bout de vie entre la naissance et la connerie où la mort n'a pas droit de citer. Je n'aurai pas de cadeaux à mes pieds demain matin. J’m'en fous, j'ai jamais aimé les cadeaux. Peut-être même n'aurai-je pas de demain matin. Pas grave. J'ai bien vécu. La mort des autres aident à vivre. C'est triste à dire mais c'est la vie. Elle nous rappelle que si nous pleurons, c'est que nous sommes sains et saufs. Je suis heureux. Mon bonheur, c'est ce repas chaud auquel j'ai été convié par les Restos du coeur. Merci Véronique Colucci.