Le monde Vs Agatha Christie
Un jour, le monde avait pensé s'excuser de toutes ses atrocités passées. Il aurait pu simplement prendre la parole et exprimer son désappointement face à la situation actuelle, dire qu'il était à l'origine de tout ça, et battre sa coulpe pour que le genre humain arrête de se déchirer et s'unisse face à un seul ennemi, lui. Mais même si dans son for intérieur, il sentait que c'était une bonne idée, il hésitait. Un mélange de fierté mal placée et de doute inné l'en empêchait. C'était le monde, quand même !
L'auto-destruction ou la contrition. Le choix était pourtant vite fait. Mais le monde n'avait jamais pris la parole depuis que les humains foulaient la Terre. Comment réagiraient-ils ? Ça pourrait les ébranler en conséquences inimaginables, pire les anéantir. Alors, il avait décidé d'agir par petites touches, ici et là, en espérant que les points seraient reliés pour faire apparaître un dessein clair et compréhensible aux plus intelligents d'entre eux.
Tenez, "Dix petits nègres". En plein "Black Lives Matter", une petite pichenette du monde sur l'édition française permit de rebaptiser le best-seller d'Agatha Christie en "Ils étaient dix" ce qui, par la bande, avait donné pleine satisfaction à l'association des personnes de petite taille. Malheureusement, ce ne fut pas suffisant pour que tous soient satisfaits.
Les féministes montèrent au créneau. En cause, un pluriel par trop masculin. L'édition française fut prompte à réagir en offrant une nouvelle couverture au roman désormais nommé "Ils et elles étaient dix".
Les partisans de l'écriture inclusive firent entendre leur voix, réclamant un titre plus juste. "Iels étaient dix" fut adopté.
Les maniaques, sous prétexte qu'un "1" et un "0", c'est le bordel, appelèrent au remplacement du "10" en "11". Pour eux, la vision de deux "1" mènerait à l'ordre le plus absolu. JCVD finit de faire pencher la balance en faveur du mouvement lors d'une interview où il déclara que "11 = 1 + 1. Et ça, c'est beau !" Sortit une nouvelle version du roman intitulée "Iels étaient 11".
Quand il fut acté qu'un nouveau personnage prendrait place dans l'intrigue afin de coller au nouveau titre, les ayants droit d'Agatha Christie sentant le vent venir offrir un caméo rigolo à Dagobert, le chien du Club des 5. C'était sans compter sur les réseaux sociaux qui refusèrent l'idée en masse. Chaque ethnie appela à l'utilisation d'un des leurs, le casting original étant de notre époque jugé trop caucasien.
Après maintes débats et tergiversations stériles, il fut décidé que chaque pays ajouterait un de ses citoyens. Et pour que chaque habitant d'un pays originaire d'une autre contrée puisse être satisfait, chaque édition nationale fut traduite dans toutes les autres langues. Il n'y eu pas un consensus mais le large ratissage calma un temps la situation.
Les écolos qui étonnamment n'avaient jusqu'à présent pris part au débat, décidèrent de s'en mêler, l'affaire était trop grave. Ils arguaient à « juste titre » du fait que l'acceptation de toutes les revendications avaient mis la planète en danger. Un des livres les plus vendus au monde - à la onzième place, demi-molle des maniaques - changeant de titre tous les deux mois et demandant tant d'exemplaires différents avait coûté un tel nombre d'arbres, détruit tant de forêts que nos jours étaient comptés.
Dépité fut le monde. Au départ, c'était pourtant une bonne idée. C'est vrai, il avait pensé un moment concevoir l'humanité à partir du même calque. Tous avec le même poids, la même taille, la même couleur, le même sexe. Un simple coup de photocopieuse et, hop, le tour était joué. Mais sa morosité à la tâche l'amena à apporter d'abord d'insignifiantes différences, puis, son ouvrage de création avançant, les disparités furent plus marquées au point que chaque individu fut unique. Un sacré boulot, mais une sacrée fierté au regard de son œuvre d'artisan. Il alla jusqu'au bout des détails en inventant la curiosité qui permettrait à chacun de s'intéresser et de s'émerveiller de l'autre. Il se sentait désormais bien seul. Il était un et la reine du crime avait eu raison de lui.