David Hey Ho

Mots, textes, interviews et vidéos

J’aimerai pas que ce soit l’été quand viendra l’hiver - Hommage à François Corbier

J'ai appris la triste nouvelle, comme un hommage, dimanche, en descendant de scène. Rien d'aussi talentueux et inspirant que le tour de chant du barbu. J'accompagnais mon fils dans son quizz “Questions Japon” qui avait remporté son petit succès à Japaniort. Au pire moment. Nous étions fatigués et ravis. Il n'y a jamais de bon moment.

Depuis, beaucoup sur les réseaux sociaux pleurent leur enfance meurtrie. Il était de ceux qui, sans le vouloir, avait endossé le rôle de Mary Poppins cathodique pour toute une génération. Les trentenaires et quadras du moment. Un héros pour les adulescents cosplayants, les mangas addicts, les âmes d’enfant sur pattes. À la différence d'un Bernard Minet qui continue à surfer sur ses années TV, lui avait depuis longtemps tourné la page. Il ne regrettait pas la parenthèse enchantée du Club Dorothée mais la vérité de son métier était ailleurs. Il rêvait de planter un jardin sur du papier quadrillé pour mettre des ailes aux nuages et des pieds aux toits des maisons. François était un poète. Putain qu'il écrivait bien ! Si j’ai une fierté, c’est d'avoir été celui qui l’a poussé à éditer ses mots. Ça peut paraître prétentieux. Et c'est pourtant vrai.

Le 5 septembre 2013, je narrais la chose sur Facebook :

"Fin d'année 2010, lors d'un échange de bons vœux avec François Corbier, je lui suggère d'écrire un livre. J'adore son style, ses coups de gueule d'anthologie, ses hommages magnifiques et son savoureux corbiblog. "Ce n'est pas une idée pire que bien d'autres mais encore faudrait-il qu'il y ait un public pour lire mes sottises mais surtout un éditeur..." me répond-il. S'en suit une conversation où j'essaye de le convaincre que son scepticisme n'est pas de mise. Je dois bien l'avouer, j'avais une petite idée derrière la tête. Je venais de quitter mon boulot pour monter ce qui allait devenir eXquisMen neuf mois plus tard. Si nous pouvions entamer notre activité avec un projet comme celui-là, c'était le nirvana. J'ai toujours l'idée de mieux faire connaître le talent d'écriture de Corbier quand, courant de l'année dernière, je lui propose de rejoindre l'équipe de "L'Exquise Nouvelle saison 2 - Les Sept petits nègres", disponible depuis chez In Octavo Editions. Il accepte volontiers et nous écrit une courte nouvelle intitulée "Enfin toute la vérité !". Très peu de temps après, j'apprends au moment de sa sortie, il y a presque un an, que le bouquin existe enfin, qu'il s'appelle "Vous étiez dans Dorothée ?" - phrase (et sa suite, surtout) que connaissent ceux qui ont eu le plaisir de voir François en concert - et qu'il est édité par les éditions Mille plumes. Damned, m'écriais-je ! Sans doute n'ai-je pas été assez combatif sur ce coup-là. Je garde toutefois le secret espoir que, peut-être, ce livre existe parce qu'un jour nous avons eu cette conversation.

Tout ça pour vous dire qu'il est grand temps, si ce n'est déjà fait, de vous précipiter dans la lecture du bouquin de l'ami Corbier."

En commentaire, il avait répondu :

"Salut David. Tout ce que tu racontes ici est tout a fait aimable. Tout a fait agréable à lire et parfaitement vrai pour ce qui est de m'avoir poussé à publier quelque chose. J'ai été ravi de le faire j'aurais sans doute pu le faire avec toi. Ça ne s'est pas fait. C'est la vie. Mais c'est comme ça qu'on apprend où se nichent les erreurs à ne pas refaire au cas où je me déciderai à remettre un jour le couvert. J'espère que tu vas bien mon grand et que le chouette bouquin "Les 7 Petits Nègres" aura rapporté plein de sous pour l'oeuvre concernée. Je te souhaite la belle journée. Corbier."

Nous n'étions pas amis, François et moi. Des potes, des camarades, des copains peut-être. On se voyait au gré de ses tournées. Il savait qui j'étais mais ne me reconnaissait jamais. Enfin, pas tout de suite. Il m'a avoué que lors d'un de ses concerts à Narbonne, il a cherché pendant toute une chanson en se disant "Mais bon sang, ça va me revenir, j'ai déjà vu cette tête quelque part...".

La dernière fois que nous nous sommes vus - triste présage - c'était le jour des attentats du Bataclan. Il m'avait repéré dans la salle avant le concert. Il m'interpelle. "On se connait ?" "Oui, mais comme tu ne me reconnais jamais et que ça commence à me vexer, cette fois, je vais te laisser chercher." Taquin que je suis. Et puis ça lui est revenu.

J'adorais le voir chanter. Une fois, il m'a même fait l'honneur de reprendre sur scène une des chansons que je lui préfère, "Grand-père", et qu'il n'avait pas jouée depuis des lustres. Il s'était trompé deux trois fois dans les accords mais était allé jusqu'au bout. Juste pour me faire plaisir. Il avait mis des ailes sur mon petit nuage.

Toute la famille l’adorait. Je me souviens d’une conversation pointue entre François et Sylvain, mon fils, sur le choix d’une bonne guitare. Mon frère Jean-Pâris, le musicien de la famille et grand fan également, lui a rendu hommage en reprenant, hier, Droséra, une des très belles chansons du répertoire du barbu. Si tu en as l’occasion, ça me ferait un bien fou que tu reprennes aussi “Grand-Père”.

Je n'ai jamais vu en François une star. Il était simple, franc et direct. Un humain magnifique. Un jeune et élégant bipède, comme il disait souvent. Je me souviens l'avoir foutu en rogne une fois. À la sortie du recueil "Les sept petits nègres", nous avons lancé un concours. Je ne sais plus qui d'entre nous avait eu l'idée de lui demander quelques poils de sa barbe à faire gagner. Sa réponse fut virulente à base de “grands couillons” et de “poils de cul pendant que t’y es”. Sa barbe, c'était sa virgule, son masque de clown, sa pantoufle de vair. Le résumer à ses poils, c'était nier toutes les magnifique chansons qu'il avait écrites depuis son départ du petit écran. Piteux, nous fûmes.

J'avais osé parce qu'on se connaissait un peu d'avant. Je l’avais contacté en 2007 pour la première fois. Nous avions une passion commune pour l'humour court, rapide et efficace. Je l'exerçais dans mon blog de l'époque, l'Impossible Dictionnaire, et lui, sur scène, avec ses chansons flash. D'ailleurs, bien avant le club Dorothée, c'est sur la télévision belge, la RTBF, que je l'avais découvert dans cet exercice. Chanson du pompier en train de repeindre un pont... Pimpon ! Imparable ! Je lui propose d'être le jury d'un concours intitulé "Les plus courtes sont les meilleures". Il n'était pas question de bites - ce qui m'aurait arrangé - mais de chansons, flash donc. Suivez un peu. Il avait accepté volontiers (Voir la vidéo). Depuis, on s'écrivait régulièrement, on se voyait de temps en temps. Je le reconnaissais, lui pas. Je l'admirais. Je l'aimais.

Quand beaucoup pleurent leur enfance, je chiale sur mon présent, sur ces dix dernières années qui m'ont donné la chance de côtoyer un artiste singulier, drôle, attachant, unique. Je tente de cacher derrière des anecdotes qui me font bomber le torse les tressautements du clavier. Je sens qu'il va bientôt falloir que je rende la ligne. Je voudrais vous servir plein d’autres petites histoires, me souvenir de sa gaîté, de son humour, de sa vivacité. J'aimerais le faire vivre encore un peu. Parce que si je ne suis pas encore tombé en larmes c'est que je tenais à l'idée de vous écrire ces quelques mots pour mettre des pieds à l'âme de François. Si j'arrête d'écrire, il sera définitivement parti. Et je ne veux pas. Je ne peux pas. Il fait beau et chaud. C'est impossible. J'ai trop de gris à l'intérieur. Je ne veux pas. J'attends l'hiver.

Ajout : Après la mise en ligne de cet article, quelques jours tout au plus, mon frère a entendu mon appel.

Grand-Père

Grand père a pété les plombs
Il est à poil sur le balcon
Il attend l’hiver
Y s’est vissé sur son cul
Sans bouger y dit rien non plus
Il attend l’hiver
Y mâchouille un bout de plastique
Y regarde le bout de sa bite
Et y pense à grand-mère
Il attend l’hiver
Grand-père a pété les plombs
Il a tagué sur le balcon
Des mots à l’envers
Des trucs comme des signes indiens
Des gosses avec une tête de chien
Des hélicoptères
Ça dégueule rouge et marron
Sur des pétasses aux nichons
En ogives nucléaires
Il attend l’hiver
Grand-père a pété les plombs
Il se demande en quelle saison
Arrivera l’hiver
Si possible et sans gêner
Il aimerait bien que ce soit l’été
Quand viendra l’hiver
Et il tourne son bout de plastique
En matant le bout de sa bite
Où est passée grand-mère
Il attend l’hiver
Il attend l’hiver
Il attend l’hiver